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Éducation et handicap : quel projet ?

Le quinquennat passé a été marqué par une forte ambition, affichée dans la politique dite de « l’école inclusive ». Près de 400 000 élèves handicapés ont été scolarisés, soit une croissance de 24% par rapport à 2017. Il faut saluer ce progrès, sans méconnaître qu’il recouvre des situations très disparates et une réalité mal connue : combien d’élèves sont scolarisés à temps plein ? Combien d’élèves passent de classe en classe sans validation des acquis ? Ces chiffres concernent-ils des handicaps complexes  désormais scolarisés, ou des handicaps moins invalidants, mieux détectés, qui passaient sous les radars ?  Il conviendrait  avant tout que ces données soient rendues publiques, afin de pouvoir construire une politique cohérente.

La première question qui se pose, au-delà de ces chiffres, est de savoir quelle ambition nous assignons à l’école : former des êtres éclairés, épanouis, disposant de l’instruction nécessaire à leur autonomie future ou se contenter d’un rôle supplétif de socialisation ?  

Les modes de scolarisation des élèves en situation de handicap sont extrêmement divers : unité localisée d’inclusion scolaire (Ulis), scolarisation en école ordinaire de quartier, en instituts médicaux éducatifs (IME), établissements régionaux d’enseignement adapté (EREA). Vouloir rationaliser ce paysage en fermant les IME au profit d’une scolarisation en milieu ordinaire, proposition qu’on entend parfois, est dangereux : ce sont autant d’élèves qui resteront sur le carreau.  On permettrait ainsi aux familles d’utiliser les financements actuellement alloués aux IME (non pas 50 000 € par enfant comme on le lit mais très précisément 39277 € en 2018 selon la caisse nationale de solidarité et d’autonomie1), afin de financer leur propre accompagnement. 

Ce projet est absurde : sous couvert d’inclusion,  il produit de l’exclusion, Plutôt que de fermer ces établissements, il serait plus efficient .de faire monter l’offre en qualité et de revoir leurs cahiers des charges, sous l’autorité des agences régionales de santé.

Au reste, si l’ensemble de ces instituts devait fermer, le tissu libéral n’aurait pas la capacité de prendre en charge la totalité de ces enfants. Aujourd’hui certains professionnels de rééducation libéraux (ergothérapeutes et psychomotriciens) ne bénéficient pas de prise en charge de la sécurité sociale, même en cas d’affection de longue durée reconnue. Les inégalités territoriales, déjà très importantes, en seraient aggravées.

Il s’ensuivrait un transfert de la prise en charge vers les parents et fratries, laissés en première ligne alors qu’ils ne sont que des partenaires bienveillants, mais en aucun cas des professionnels. 500 000 jeunes sont aidants au quotidien : on ne peut leur laisser la charge d’accompagner un proche en situation de handicap, au détriment de leur propre développement.

Enfin le transfert financier serait insuffisant : il correspond au mieux à 2,6 équivalents temps plein salarié au SMIC.

Il faut aussi porter un regard lucide sur l’école inclusive : elle consiste dans une scolarisation à temps partiel – voire très partiel – d’à peine quelques heures par semaine ; l’accompagnement à temps plein des élèves en situation de handicap (AESH) souffre d’un déficit chronique, et les pôles inclusifs d’accompagnement localisé servent à gérer la pénurie d’AESH en les mutualisant. Or cette mutualisation devra cesser immédiatement dès la prochaine rentrée, certains établissements scolaires refusant l’accueil des élèves en l’absence d’AESH. 

Il y a donc là un déficit criant que les pouvoirs publics doivent combler, afin d’apporter aux  élèves en situation de handicap l’accompagnement nécessaire à leur scolarisation. Il est impératif de revoir les conditions et le niveau de recrutement des AESH, qui devraient détenir un bac sanitaire et social ou général, un casier judiciaire vierge, et être eux-mêmes dépourvus d’un handicap supérieur à
50 %. Réviser leur rémunération, qui devrait a minima se situer à 1,25 SMIC.

Pourquoi enfin ne pas innover ? L’ouverture de nouveaux établissements régionaux d’enseignement adapté, à l’image de ce qui se fait déjà à Vaucresson dans les Hauts-de-Seine, offre
une troisième voie : celle de l’hybridation. Il s’agit d’un établissement scolaire sous pilotage de l’éducation nationale comprenant, sur le même site, un centre de rééducation complet avec prises en charge intégrées dans l’emploi du temps, internat, scolarité mixte entre élèves en situation de handicap et élèves valides. Au fond le meilleur des deux mondes, et un modèle qui gagnerait à être développé dans l’ensemble des régions françaises. L’objectif est commun,  les différences seront une source d’enrichissement réciproque, les moyens pour y parvenir différenciés en fonction des difficultés de chacun. 

Parler d’éducation, c’est se projeter à moyen et long terme. Donc adapter la formation des enseignants, en reconnaissant que la prise en compte du handicap nécessite une expertise : former au moins 2 % des enseignants chaque année à la langue des signes et au braille ; produire une nouvelle génération d’enseignants spécialisés  ; et refonder le volet formation des enseignants spécialisés. recrutés par voie de validation des acquis d’expérience (VAE), instaurée sous ce quinquennat. 

Que proposons-nous aux élèves qui ne peuvent obtenir le baccalauréat ? Et dans les formations à bac +2 ? Le nombre d’élèves en situation de handicap dans le supérieur est encore bien trop faible, alors même l’ère qui vient est remplie d’opportunités : numérique, transition écologique, robotique… . Il convient donc de faciliter, aussi, la vie étudiante : les aménagements préconisés par les services de vie de la médecine étudiante devraient être rendus opposables aux établissements, et la gratuité du transport adapté, garantie jusqu’à la fin des études supérieures  dans l’ensemble des territoires et y compris lors de périodes de stage en entreprise. L’accès aux cours par visioconférence, qui s’est largement développé avec la pandémie, doit continuer d’être assuré, et l’accès aux formations du CNED, facilité.

Autant de pistes à explorer, pour bâtir une société prête à valoriser, plutôt qu’à subir, ses différences tout en brisant les inégalités de destin.

1 Analyse des comptes administratifs 2017 et 2018- https://www.cnsa.fr/documentation/rapport_analyse_caph-2017-18-vf.pdf 

Think tank Handicap, République et Société